Mgr Fellay : « Nos relations avec Rome sont difficiles »
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Si les lefebvristes donnent leur assentiment au « Préambule doctrinal »
qui leur est soumis par Rome, ils pourraient obtenir une prélature
personnelle internationale.
Monseigneur Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X lors d'une célébration à Ecône, en Suisse en juin 2009. Le représentant de la FSPX s'est vu remettre un "préambule" à l'issue de sa rencontre avec le cardinal Levada.
La rencontre entre les six hommes a duré environ deux heures et demie. C’est dans un climat qualifié de « cordial, intense mais pas tendu » que, mercredi 14 septembre dans la matinée, le cardinal William Levada, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi et président de la commission pontificale Ecclesia Dei, accompagné de son « numéro deux », Mgr Luis Ladaria, et de Mgr Guido Pozzo, secrétaire d’Ecclesia Dei, a rencontré, comme prévu, Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSPX).
Ce dernier était accompagné des abbés Niklaus Pfluger et Alain-Marc Nély, assistants généraux de la FSPX. A aucun moment Benoît XVI n’a rencontré, ou ne rencontrera, a assuré le P. Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, les représentants de la FSPX.
Au cours de cette rencontre, un document a été remis à Mgr Fellay, sur lequel il va devoir se prononcer, et toute la FSPX avec lui, dans un délai « raisonnable », évalué par le P. Lombardi à « quelques mois ».
Un « préambule » transmis aux traditionalistes
Dans ce « Préambule doctrinal », qui ne sera pas rendu public, et dont le P. Lombardi a reconnu ne pas connaître le contenu précis, la Congrégation pour la doctrine de la foi pose un préalable fort à une « éventuelle » réconciliation avec la FSPX : l’acceptation « des principes doctrinaux et des critères d’interprétation de la doctrine catholique nécessaires pour garantir la fidélité au Magistère de l’Église et au ‘sentire cum Ecclesia’». Pour le P. Lombardi, il s’agit là d’une « base indispensable ».
Mais une difficulté majeure apparaît dès la première lecture du communiqué officiel. Ce « préambule » laisse « ouvertes à une légitime discussion l’étude et l’explication théologique d’expressions ou de formulations particulières présentes dans les textes du concile Vatican II et du Magistère qui a suivi ». Où va se situer la frontière entre le cœur non négociable de la doctrine, et sa « légitime discussion » ?
De fait, des formulations similaires avaient été posées lors de précédents accords ou tentatives d’accords entre Rome et des traditionalistes. Ainsi, en juin 1988, le protocole d’accord, que Mgr Lefebvre avait signé avant de se rétracter, précisait que la Fraternité s’engageait à avoir « à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège Apostolique, en évitant toute polémique » sur les points de Vatican II lui posant problème.
« Fidélité » au Vatican
De même, en 2002, les prêtres de Campos qui ralliaient Rome s’engageaient « à approfondir toutes les questions encore ouvertes, prenant en considération le canon 212 du Code de Droit Canonique (qui encadre la liberté d’expression des fidèles en matière doctrinale, NDLR) et avec un sincère esprit d’humilité et de charité fraternelle envers tous ».
Enfin, en 2006, les prêtres de l’Institut du Bon-Pasteur s’engageaient à « respecter le Magistère authentique » du Siège romain, dans « une fidélité entière au Magistère infaillible de l’Église » tout en s’engageant dans une « critique sérieuse et constructive » du concile Vatican II
De source proche du dossier, on affirme que la liberté religieuse, la collégialité épiscopale, l’œcuménisme figurent clairement au cœur de l’enseignement de l’Église, étant laissé libre, comme dans tout débat théologique, le déploiement des interprétations. On rappelle également les réponses déjà apportées par le pape aux demandes des lefebvristes, notamment la libéralisation du rite ancien et la levée des excommunications des quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988.
Une « prélature » comme solution possible
Si la FSPX acceptait ce « préambule », s’ensuivrait une « solution canonique » qui pourrait prendre la forme, selon le P. Lombardi, d’une « prélature personnelle internationale », semblable à celle de l’Opus Dei. Une telle circonscription ecclésiastique, à l’échelle du monde, est une innovation prévue par Vatican II. La juridiction de son « prélat-évêque », nommé par le pape, ne s’exerce pas sur un territoire mais sur des personnes.
Dressant un bilan de cette rencontre, le P. Lombardi a insisté sur le caractère central de l’acceptation doctrinale de Vatican II par la FSPX. Il a souligné que la proposition du cardinal Levada constituait un « pas déterminant » dans la recherche de la réconciliation, qui reste aujourd’hui « éventuelle ».
Dans la dernière livraison de sa Lettre aux amis et bienfaiteurs , Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X (FSSPX), se garde bien de divulguer la teneur de sa réponse aux propositions formulées le 14 septembre dernier par le cardinal William Levada, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et qui vient d’être reçue à Rome.
Mais le ton de cette lettre bisannuelle montre clairement que, malgré deux années de discussions doctrinales entre les intégristes et la Congrégation pour la doctrine de la foi, les points d’achoppement entre Rome et Écône demeurent ceux qui s’étaient fait jour il y a plus de 40 ans, au lendemain du concile Vatican II : la liberté religieuse, l’œcuménisme et la collégialité. Trois points qui sont, aux dires de Mgr Fellay, « au cœur de la crise qui secoue l’Église ».
Pour le second successeur de Mgr Lefebvre à la tête de la FSSPX, le fond du problème demeure en effet « dans une perte de la foi en la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Selon lui, le refus de la divinité du Christ se traduit aujourd’hui « par le rejet de sa Royauté », conséquence de la liberté religieuse rappelée par Vatican II.
Renoncement à « la fierté des catholiques »
« Cette liberté religieuse, mettant sur un pied d’égalité le vrai et le faux, dispense délibérément l’État et la société humaine de leurs devoirs d’honorer et de servir Dieu, leur Créateur », explique-t-il
Autre point d’achoppement : l’œcuménisme. « Sous prétexte de pouvoir être plus proche de nos “frères séparés”, (…) on ne cherche même plus, de manière délibérée, à les convertir, explique-t-il. L’œcuménisme NE VEUT PLUS CONVERTIR (en capitales dans le texte). » Il voit dans cette attitude un renoncement à « la fierté des catholiques ».
« Les chrétiens sont devenus aujourd’hui tellement mous qu’ils laissent tout faire ! », s’indigne-t-il, à propos cette fois des pièces de théâtre Sur le concept du visage du Fils de Dieu et Golgota Picnic où l’institut Civitas est apparu comme le véritable bras politique de la FSSPX contre ces spectacles.
« L’Église s’est toujours proclamée une monarchie »
Troisième point délicat dans le concile aux yeux de la FSSPX : la collégialité épiscopale, vécue par Mgr Fellay comme une « diminution de l’autorité ». « L’Église s’est toujours proclamée une monarchie, gouvernée par un seul », explique-t-il, dénonçant « la collégialité et la parodie parlementaire des conférences épiscopales, (qui) permet toutes sortes d’abus et livre à la pression du groupe les dispositions du Droit divin déterminant que chaque diocèse n’a qu’une seule tête, l’évêque du lieu ».
Conséquence : « L’autorité aujourd’hui est sérieusement ébranlée, non seulement du dehors par la contestation des responsables laïcs qui prétendent à une part de gouvernement, mais aussi bien, à l’intérieur de l’Église, par l’introduction d’une quantité de conseils et commissions qui, dans l’atmosphère d’aujourd’hui, empêchent l’exercice juste de l’autorité déléguée par Notre Seigneur Jésus-Christ. »
Si ces phrases traduisent le fond de la réponse transmise ces derniers jours par la FSSPX aux propositions romaines, qui impliquaient l’acceptation de l’enseignement de Vatican II tel qu’exprimé dans le Catéchisme de l’Église catholique , on comprend dès lors que, comme le conclut lui-même Mgr Fellay, « nos relations avec Rome sont difficiles ».
Nicolas Senèze