Dimanche 3 Janvier 2010 (C) ÉPIPHANIE du Seigneur
Rois ou Mages ?
Sur leur route de marcheurs libres, les mages cherchent l'Enfant,
suivent l'étoile, attentifs aux signes...
Tournant sur lui-même en son cœur compliqué,
Hérode fait obstacle à la présence du Seigneur...
Et nous ?...
Vers quel roi notre regard intérieur se dirige-t-il ?
Évangile selon saint Matthieu 2,1-12
Trouver Dieu dans les
étoiles?
Eh oui! dans l'évangile de Matthieu, le récit de la naissance de Jésus n'occupe qu'une demi-phrase. Cet évangéliste préfère concentrer tout l'attention sur la
visite des mages.
Des mages venus d'Orient
Un Juif fidèle et croyant du temps de Joseph et de Marie, connaissant bien les Saintes Écritures, n'aurait peut-être pas été porté à faire un bon accueil à un «mage venu d'Orient».
L'Orient, c'était la Babylonie (l'Iraq d'aujourd'hui), la Perse (l'Iran), l'Arabie. C'était, pour les Juifs, une région de païens. On s'y livrait à des pratiques rejetées par tout bon
Israélite: la divination et la magie y étaient à l'honneur et on scrutait le ciel en s'imaginant que les étoiles étaient des êtres divins pouvant révéler l'avenir. Au long de l'histoire, bien
des gens en Israël avaient violemment dénoncé les devins et les mages. On en lit une vigoureuse condamnation, adressée à Babylone, dans le livre d'Isaïe: «Reste donc avec tes incantations et
tous tes sortilèges dans lesquels tu t'es fatiguée depuis ta jeunesse… Tu t'es épuisée à force de consultations! Qu'ils se présentent donc et te sauvent ceux qui détaillent le ciel, qui
observent les étoiles, qui annoncent chaque mois ce qui va fondre sur toi. Voici qu'ils sont comme fétus de paille, le feu les brûlera, ils ne sauveront pas leur vie de l'étreinte de la
flamme…» [Note: Tiré de l'oracle conter Babylone, au chapitre 47 du livre d'Isaïe.]. Il est évident que le prophète n'avait pas une bien bonne opinion des mages de l'Orient.
Pour les Israélites, c'était le Seigneur et lui seul qui comptait. C'est lui qui avait créé les étoiles et c'est lui qui réglait leur mouvement. À quoi bon s'imaginer consulter le ciel quand on
avait sous la main la Parole de Dieu? Les religions des païens ne pouvaient conduire nulle part.
C'est donc avec étonnement que des Juifs de l'époque auraient lu le début de l'évangile de Matthieu: comment ces mages ont-ils pu, grâce à leurs pratiques religieuses païennes, trouver le
chemin qui mène à Dieu?
Mais, de fait, les mages n'ont pas trouvé le Christ tout seuls: ils se sont rendus à Jérusalem par leurs propres moyens et là, ils ont eu besoin d'aide.
Hérode et le peuple de Jérusalem
Quand les mages arrivent à Jérusalem en demandant «Où est le roi des Juifs qui vient de naître?», c'est Hérode qui leur donne l'information qui leur manque, après avoir consulté
les Saintes Écritures. Malgré ses inquiétudes et ses mauvaises intentions, Hérode demeure le représentant du peuple choisi par Dieu et le dépositaire de la Parole de Dieu. Sans lui, les païens
ne peuvent trouver le Messie.
Le drame, dans cette histoire, c'est qu'une fois informés, les mages continuent jusqu'à Bethléem, alors «qu'Hérode et tout Jérusalem avec lui» ne bougent pas et restent enfermés dans leurs
sombres pensées. Après avoir attendu le Messie du Seigneur pendant des siècles, le peuple de Dieu reste dans son aveuglement alors que les païens continuent sur le chemin qui mène à Dieu.
L'épisode de la visite des mages met donc en scène deux groupes. D'une part, le peuple de Dieu, qui a tout reçu: l'enseignement, les traditions religieuses, le Temple, les prophètes, les
Écritures; et d'autre part, ceux qui cherchent Dieu sans être membres de son peuple: ils le découvrent à travers des pratiques pourtant condamnées par les Écritures et viennent même consulter
le peuple de Dieu. Mais celui-ci reste immobile et regarde passer la caravane.
Ce sont donc les étrangers, les païens, qui accueillent vraiment le Seigneur. Dieu agit et se fait connaître malgré l'immobilité et le refus de son peuple. Israël garde les Écritures pour lui?
Dieu se sert des étoiles. Le peuple de Dieu ne veut pas aller à Bethléem? Dieu y guide des païens. Le peuple choisi essaie de faire mourir le Messie? Dieu avertit Joseph en songe et c'est la
fuite en Égypte. Jérusalem n'est pas prête à accueillir la sainte famille à son retour? Dieu conduit Joseph hors de Judée, jusqu'à Nazareth, en pleine «Galilée des nations».
Qui sont les mages aujourd'hui?
Nous sommes le peuple de Dieu. Nous avons reçu l'enseignement, les traditions, les Écritures,
la liturgie. Nous nous réunissons entre nous, sûrs d'être «du bon bord».
En même temps, nous voyons proliférer autour de nous toutes sortes de mouvements religieux ou pseudo-religieux dans lesquels nombre de personnes mettent leur espérance: du Nouvel Âge au
«channelling», des révélations secrètes à l'ésotérisme, des croyances en la réincarnation aux messages des extra-terrestres… Il y a là de nombreux signes d'une nouvelle recherche spirituelle,
de nouvelles attentes, d'un besoin de Dieu nouvellement ressenti.
Et Dieu n'hésite sûrement pas à venir à la rencontre de toute personne qui le cherche, même maladroitement, comme il a su rejoindre les mages qui interrogeaient les étoiles.
Le Concile Vatican II ne disait-il pas au sujet des religions non chrétiennes, qu'elles «apportent souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes»
[Déclaration «L'Église et les religions non chrétiennes», (1965), no 2.]
Mais, comme les mages ont eu besoin d'Hérode et des Écritures pour trouver le chemin de Bethléem, ainsi les chercheurs de Dieu d'aujourd'hui croisent nos pas et nous interrogent, nous,
Église-peuple de Dieu, pour recevoir en partage la richesse de notre héritage spirituel.
Saurons-nous les accueillir et ensuite nous mettre en marche pour aller avec eux à la rencontre du Seigneur, ou resterons-nous assis à Jérusalem, comme Hérode et ses scribes, en regardant
passer la caravane?
Bertrand Ouellet