Dimanche 26 février 2023, premier dimanche de carême, en l’église Saint-Jean-Baptiste, dans le centre-ville de Saint-Jean-de-Luz, tandis que résonne le chant d’entrée en basque, les paroissiens et quelques vacanciers se pressent pour assister à la messe de 10h30. L’église est pleine, jusque sur les deux premières galeries en étages, typiques de ces églises labourdines, dont celle-ci, avec son monumental retable du XVIIe en bois doré, est l’une des plus célèbres.
La messe dominicale prend une saveur particulière alors que tous les fidèles ont en tête le drame qui s’est produit quelques jours plus tôt à deux rues de là : au sein du collège-lycée catholique Saint-Thomas-d’Aquin, Agnès Lassalle, professeur d’espagnol en classe de seconde, a été poignardée par l’un de ses élèves en plein cours. Interrogé, le jeune homme aurait dit être passé à l’acte en obéissant à « la voix d’un être égoïste, manipulateur, et égocentrique qui l’inciterait à faire le mal ». Les lectures du jour, sur le mystère du mal, du péché et la tentation du Christ par Satan, résonnent mystérieusement.
La mort n’aura pas le dernier mot
L’abbé François de Mesmay, curé de la paroisse, s’avance micro en main dans l’allée centrale pour l’homélie. Il interpelle l’assistance sur la chute décrite dans la Genèse (3, 8) et rappelée dans le livre de Ben Sira le Sage (15, 15-20) : « Éloignés de Dieu, nous sommes nus, comme Adam et Ève, qui ont préféré écouter le prince du mensonge. »
Et de poursuivre : « Le mal, nous dit saint Paul dans l’Épître aux Romains (5, 12), est entré dans le monde à ce moment-là, et ne cesse depuis de se transmettre. Nous le savons bien. C’était vrai du temps d’Adam et Ève. C’était vrai du temps du Christ qui est mort par amour, mais regardez ce que nous avons vécu ici, à Saint-Jean-de-Luz, la semaine dernière : c’est exactement le signe que le mal détruit la relation des personnes, détruit la vie. Et nous pourrions nous dire : “Nous n’y arriverons jamais !” Car nous n’y arriverons jamais mes frères et sœurs bien aimés. Cela recommencera, ici ou ailleurs. En revanche, nous, nous savons depuis 2000 ans que le Christ a vaincu la mort. Car, par notre baptême, nous avons été plongés dans la mort et la résurrection du Christ. Et la mort n’aura pas le dernier mot, telle est notre Espérance. »
Bienveillance de mise
Le nom de l’enseignante poignardée quelques jours plus tôt est ensuite évoqué lors de la prière universelle, conformément au souhait de l’évêque de Bayonne, Marc Aillet, adressé à tous les prêtres du diocèse afin qu’ils fassent « prier les fidèles lors des assemblées dominicales pour la victime et tous ceux qui sont impactés par ce drame ». Agnès Lassalle est encore citée au cours de la prière eucharistique, au moment de prier pour nos frères défunts. Le prêtre confie aussi aux prières de l’assemblée recueillie, « ce jeune qui a commis ce crime épouvantable ».
Après un dernier chant en basque, les fidèles se retrouvent sur le parvis baigné de soleil et s’interpellent gaiement, en dépit du froid glacial. Malgré l’horreur du drame, la bienveillance et la sérénité sont de mises. « La communauté est secouée, mais que voulez-vous ?, commente l’abbé de Mesmay. Beaucoup de personnes viennent me demander de célébrer des messes pour la victime, mais aussi pour le jeune qui l’a tuée. L’évoquer dans nos prières lors de la messe était pour moi une évidence, mais aussi une manière de répondre à leur attente », déclare-t-il dans un sourire, signe de l’espérance qu’il prêche. L’heure est à la prière, le mal n’aura pas le dernier mot.