Le chemin de Croix de Vincent Gelot et Diego Ibarra Sanchez (Le Pélerin)
Avant Pâques, méditez les 14 stations du chemin de Croix avec Vincent Gelot, humanitaire français, et Diego Ibarra Sanchez, photojournaliste. Les deux jeunes hommes vivent au Liban et vous feront découvrir ce pays meurtri en mêlant leurs mots et leurs images.
Avant le chemin
Les chemins d’Orient
Sont des chemins de croix
Qu’il m’a fallu parfois emprunter
Il n’y avait pas d’icônes dorées
Ni de lyrisme oriental
Le long de ces calvaires
Pas de poésie non plus
On ne voyait que la réalité
Brute
Douloureuse
Contemporaine
Car sur cette terre
Couronnée d’épines
La lumière et les ténèbres
Les miasmes et les parfums
Les chants sacrés les chants de haine
Se mêlent
sans filtre ni détour
Sous le ciel immense de Dieu
Mais la pluie tombe sur l’Orient
Comme des larmes sur un visage
Et tout son peuple attend
que l’orage passe
Comme une résurrection
Qui ne vient pas.
Station 1 : Jésus est condamné à mort
Les chemins d’Orient. Sont des chemins de Dieu. C’est là que je l’ai vu. Sur les portes de Mossoul. Le signe de son Nom. À Beyrouth, j’ai entendu. La détresse de son peuple. Et à Damas, son silence. Ponce Pilate régnait. Sur les palais présidentiels. Les pharisiens prêchaient. Dans le Temple des religions. Et Barabbas hantait les rues. L’arme à la main. Sur la route des ruines. L’encens des villes millénaires. Avait une odeur de poudre. Et de sang.
Les chemins d’Orient. Sont des chemins de croix. Et dans leurs bas-côtés. Les enfants ramassent. Des cadavres de balles.
Station 2 : Jésus est chargé de sa croix
Sommes-nous à Jérusalem. À Bagdad, dans les souks d’Alep. Ou le port de Beyrouth ? Peu importe le lieu. Peu importe l’époque. Ce sont toujours les mêmes visages. Les mêmes cris. Des printemps avortés. Le désespoir, la haine, la colère. Guidant le peuple. Au Golgotha. Ce même peuple qui hurlait : « Qu’on le crucifie ! Qu’on le crucifie ! » Cette foule. Fait-elle tomber les murs ? Pour en bâtir d’encore plus hauts. Pour se venger. Pour donner un avenir à ses enfants. Pour s’arracher à son fardeau. Qui croit-elle vraiment sauver ?
Dans la fureur et le chaos. Elle seule demeure. Comme une certitude. La croix.
Station 3 : Jésus tombe sous le poids de sa croix
Les chemins d’Orient. Sont des chemins de peine. Mais ce n’est pas de la peine. Ni de la peur. C’est de l’effroi. Qui incendie les yeux. De l’homme qui tombe. Pour la première fois.
Ce regard. C’est le regard du corps souffrant. Du Christ. Celui de l’Orient. Que chaque nouveau coup. Chaque nouvelle guerre. Ramène à la première chute. De celui qui supplia le ciel. « Père ! sauve-moi de cette heure ! »
Allons relève-toi. Et marche. Il te faut vivre encore.
Station 4 : Jésus rencontre sa mère
Des décombres de Damas. Aux ruines de Sanaa. Des sables de Ninive. Aux murs de Jérusalem. Les chemins d’Orient. Sont criants. De silences cruels.
Voyez Marie. Mère de toutes les mères. Madone de nos douleurs. Et gardienne de notre espérance. Avec l’humanité, elle souffre. Son cœur saigne. Autant que son fils.
Approchez-vous. Pour l’entendre tout bas. Car ses yeux sont sans pleurs. Et sa bouche est sans voix. L’Évangile dit peu l’étendue. De ses maux. Nul langage ne peut l’écrire. Rien n’est à sa mesure. Même le silence. Crie dans la nuit.
Station 5 : Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix
Au milieu des ténèbres, Ils sont une lueur. Une main tendue. Vers la détresse. Un phare. Dans l’insondable nuit.
Des hommes et des femmes. Des anciens et des plus jeunes. Ces saints du quotidien. Ces inconnus au cœur immense. Qui par leur dévouement. Leur amour. Leur présence. Soutiennent la croix des autres. Sans question ni jugement. Sans bruit. Dans l’effort et la joie. Dans la fatigue et la douleur. Combien de fois n’ont-ils pas. Failli chuter ou renoncer ?
Dans notre marche. Où chaque pas est une prière. N’oublions pas. Les silencieux disciples. De Simon de Cyrène. Ils portent l’Orient et le monde. À bout de bras.
Station 6 : Véronique essuie la face de Jésus
Parmi les plaintes et les ombres. Entre les coups et les crachats. Il en est comme Véronique. Que la tendresse guide. Pour consoler un supplicié. Que le courage soutient. Pour braver des hommes en armes. Que la bonté éclaire. Pour laver le visage de Dieu.
Ce visage. C’est celui de l’Orient. Meurtri, humilié, souffrant. Abandonné. Et ses nombreuses plaies. Sont si profondes. Que rien. Sinon l’Amour. N’arrive à les panser.
Station 7 : Jésus tombe pour la deuxième fois
Du sang. De la poussière. La vue se brouille. Tout est allé si vite. Hier on célébrait ton entrée. À Jérusalem. Tu rompais le pain avec tes amis. On t’appelait Rabbi. Aujourd’hui tu es seul. À trébucher dans les abîmes.
Et toi aussi mon bel Orient. Terre d’Évangile et de prophètes. Ton âge d’or s’il en fut un. Est derrière toi. Ton corps est pris dans une spirale. Qui l’aspire vers le fond. Et s’il se relève. Ce n’est que pour chuter encore. Tu es comme un damné. Sur un chemin de croix. Qui marche à l’envers. Chaque pas semble t’éloigner. Contre toute espérance. De la résurrection.
Station 8 : Jésus console les filles de Jérusalem
Vous qui voyez l’Orient de loin. Ou de très près. Et qui l’accompagnez. Avec vos larmes. Et vos prières. Vous êtes sa consolation.
Vous qui soignez le corps blessé. De l’être aimé. En lui offrant un peu de vous. Vous allégez la croix du monde.
Vous qui souffrez. Dans la solitude et l’indifférence. Séchez vos larmes. Car tout au long du chemin. Et jusqu’au bout. La présence invisible de Dieu. Comme un ami. Réparera vos cœurs.
Station 9 : Jésus tombe pour la troisième fois
À trop tomber on se demande. S’il faut encore se relever. Sur une terre où les ancêtres. Les attaches. Les souvenirs. L’espérance même. Ne suffisent plus. Depuis deux millénaires. A-t-on encore la force de porter. Sur la terre du Christ. Le poids de son incarnation ?
Quand le chemin de croix. Ne finit pas. Et qu’on ne trouve plus de sens. À la souffrance. À sa présence. Qu’un autre avenir. Comme une Terre promise. Appelle ailleurs. Pourquoi rester ?
Sur les chemins d’Orient. L’exil est une déchirure. Partir c’est mourir un peu.
Station 10 : Jésus est dépouillé de ses vêtements
Te voilà nu. Comme cet homme au poing levé. Comme au premier jour. Dépouillé par la cupidité. De ceux-là mêmes. Qui devraient le protéger.
Te voilà nu. Et tes plaies sont à vif. Tu te mets debout. Mais la douleur et l’impuissance. T’accablent.
Te voilà nu face à tes regrets. Et aux interrogations. De ton âme. Qui ne sait plus où elle va. Ni qui elle est.
Sans conversion. Se révolter ne sert à rien. Car cet Orient-là, ce monde-là. Qui se dépouille lui-même. Parce qu’il ne veut pas mourir. Ne peut pas renaître.
Station 11 : Jésus est attaché à la croix
Les chemins d’Orient. Sont baignés par le soleil. Mais déjà le crépuscule descend.
Beaucoup sont partis. Vers d’autres lieux. D’autres chemins d’autres calvaires. Il ne reste que les bourreaux. Et l’anonyme foule. Que l’on crucifie à petit feu. Dont une poignée demeure. Sur la Terre sainte où ils sont nés. Pour vivre et témoigner. Jusqu’au dernier martyr. Pour les autres. Ceux qui n’ont plus la force. D’aucuns soupirent parfois. Tant qu’un rayon de soleil brûle. Encore. Pourvu qu’on en finisse. Vite.
Station 12 : Jésus meurt sur la croix
Les chemins d’Orient. Sont des chemins d’étoiles.
C’est le jour. Et pourtant il fait nuit. Le sol tremble. Comme un soir de 4 août. À travers les ténèbres. Et le ricanement des bourreaux. Un cri déchire le ciel. « Éli, Éli, lema sabactani ? »
Cet appel c’est celui de l’Orient. Transpercé désespéré oublié. Avant d’avoir rendu. Son dernier souffle. C’est la nuit. Dieu paraît absent. Mais dans l’absence. Une voix a parlé. « Vraiment, c’était le Fils de Dieu ! ». Cette voix du centurion. Qui dit tout. Qui sauve tout. Donne une raison d’y croire. Et de ne pas sombrer.
Station 13 : Jésus est descendu de la croix et remis à sa mère
Les chemins d’Orient. Sont des chemins de larmes. Et de femmes en deuil.
Ô Marie. Mère vénérée. Par le croissant et par la croix. Combien de pietà ont après toi. Dans le même linceul. Soutenu l’insoutenable. Combien ont après toi. Serré le corps sans vie. De leur enfant. Liban, Irak, Yémen, Syrie, Égypte, Turquie, Iran, Israël, Palestine, Arménie, Afghanistan. Maintenant l’Ukraine.
Combien les chemins d’Orient. Sont des chemins de larmes. Où les femmes sont voilées. D’un linceul de deuil.
Station 14 : Jésus est mis dans le sépulcre
Les chemins d’Orient. Sont des chemins de croix. Qui s’achèvent au tombeau.
C’est là que notre marche. Avec son cortège de larmes et de souffrance prend fin. Mais le sépulcre. N’est pas la fin du voyage. C’est un nouveau départ. Vers un lumineux mystère. Où la mort n’a pas le dernier mot. Car les chemins d’Orient. Sont des chemins de rédemption. Qu’il faut traverser en prophète. Pour toucher la lumière. « Nul ne peut atteindre l’aube. Sans passer par le chemin de la nuit ». Nous dit Khalil Gibran.
Voyez l’aurore approche. L’orage est passé. C’est la résurrection qui vient.
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