L'informatique, une discipline à part entière !
Thierry Viéville
Directeur de recherche à l'INRIA
http://www.inria.fr/Thierry.Vieville
Le présent texte s'inscrit dans le cadre de la session 1 « L'informatique, une discipline à part entière ! Culture, fondamentaux et usages » du colloque international
ePrep 2008.
http://www.eprep.org/colloques/colloque08/colloque08.php.
Référence
(1) « Quelle informatique enseigner au lycée ? », Gilles Dowek, mars 2005.
http://www.lix.polytechnique.fr/~dowek/lycee.html.
Résumé : Pour montrer en quoi l'informatique est une discipline à part entière, adressons-nous d'abord aux natives et aux natifs du numérique. Cette génération qui ne pourra être citoyennes et citoyens à part entière sans connaître les fondements de cette discipline nouvelle qui a conduit à la révolution du numérique. Osons le faire de manière provocative : pour bouger il faut parfois bousculer. Adressons nous ensuite à l'autre génération, parfois bloquée par quelques idées reçues. C'est le démontage de ces idées reçues qui permet de lever les blocages pour que l'informatique trouve sa place naturelle : celle de discipline à part entière.
Pose ton stylo, mon enfant... et prends ton clavier
L'Histoire a retenu le nom de Gutenberg. Ce n'est pas faux, mais c'est forcément réducteur. En fait, entre 1450 et 1500, ils furent plusieurs à être à l'origine de l'imprimerie et ils s'inspirèrent de bien plus anciens [1]. Et surtout, il y eut différentes technologies avant d'obtenir le bon papier, la bonne encre, et il fallut de nombreux essais avant de pouvoir utiliser les matrices de caractères en fonte qui allaient conduire à la diffusion en masse de l'information à travers le monde, permettre de stocker le savoir, de démultiplier la connaissance, de créer des textes et des images à volonté. Ce que l'Histoire n'a pas minimisé, en revanche, c'est l'incommensurable révolution sociétale et économique qui a fait basculer l'humanité vers les temps modernes : des métiers ont changé, des organisations (par exemple celle des copistes du clergé régulier) ont disparu, les rapports au savoir se sont démocratisés, la communication entre les gens s'est bouleversée. L'imaginaire, d'oral, est devenu écrit. La musique s'est mieux codifiée. L'école de la lecture et de l'écriture ne s'est vraiment inventée, n'en déplaise à Charlemagne, que lorsque le parchemin est devenu papier. Ce que l'Histoire oublie de nous dire, c'est à quel moment les gens ont vraiment réalisé qu'ils sortaient du « moyen âge » ? Combien d'années pour que la mère et le père disent à l'enfant : « Ce ne sera plus jamais pareil, ta vie sera en partie à re-concevoir car le monde que nous te léguons est "autre", un monde qui ne sera ni pire, ni forcément meilleur, juste à réinventer. » En effet, qui connaissait Gutenberg en 1450 ? Qui pouvait dire sans ce recul de l'Histoire : une révolution est passée.
Il y a 500 ans, prendre conscience d'un tel changement, c'était difficile. Aujourd'hui c'est différent.