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Le Jour du Seigneur -jeudi 22 Janvier 2015
jeudi 22 janvier 2015 - 03h05
Que notre main écoute notre coeur
Catégorie : Point de vue
Fr. Philippe Jaillot o.p. |
La température a baissé et le froid est saisissant. Deux hommes, qui manifestement vivent dans la rue, étaient assis côte à côte sur le trottoir, au-dessus d’une grille d’aération d’où sort un peu d’air chaud. Hélas, ce spectacle n’est pas rare et crée en moi une sorte de panique et de la tristesse. Arrivé près d’eux, je les salue en posant la main sur mon cœur, geste d’attention et de sympathie qui m’est resté de quelques séjours en Egypte. C’est là-bas que je l’ai vu faire. L’un des deux hommes me répond d’abord en posant lui aussi la main sur son cœur.
Des deux, c’est celui qui semble le plus expansif. Il me demande alors avec force : « Comment ça va, mon Père ? » Je m’approche pour lui serrer la main. Il la prend. Et il embrasse le dos de ma main, comme il est d’usage de faire à un prêtre, dans bon nombre d’Eglises orthodoxes ou orientales. Et en entendant sa voix, en voyant ses cheveux noirs et longs, je pressens qu’il pourrait bien être d’une de ces Eglises. Je sens que ce n’est pas le cas de son compère, plus effacé, cheveux rasés. Quand je veux le saluer, il me serre d’abord la main, puis essaie lui aussi de l’embrasser dans un geste plus maladroit que son voisin. Je ne suis pas certain que dans sa vie il ait eu beaucoup l’habitude de parler à des prêtres ou à des moines !
Cette rencontre anodine m’est arrivée au milieu de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Celle-ci revient tous les ans depuis que dans les années 30, l’abbé Paul Couturier, prêtre lyonnais, a pris conscience que la division des chrétiens est un triste contre-témoignage pour la foi au Christ, que tous confessent pourtant comme Dieu de vie et d’amour.
J’ai médité cette rencontre sur le trottoir comme une parabole. Le catholique que je suis et l’orthodoxe que devait être cet homme assis dans le froid entrent en contact. Pas parce que nous sommes différents, mais d’abord parce que la sympathie fait du bien. Quand le thermomètre est proche de 0°C et que l’on vit dans la rue, je suppose qu’il est doux de pouvoir échanger des mots qui montrent que la peur prend du recul. J’admire d’ailleurs toutes ces associations qui, par des maraudes pendant l’hiver, prennent souci des gens de la rue. En tout cas, dans ma parabole, le catholique et l’orthodoxe ont échangé leurs gestes et leur culture : une poignée de main, le baiser sur la main… Mais dans cette parabole, il y a le troisième homme. Il représentait pour moi l’humanité entière : chez lui, peut-être pas de préoccupation religieuse ni même de foi en Dieu. Et cela me rappelait que l’unité des chrétiens n’est pas une fin en soi. L’unité des chrétiens est une marche vers ce que Dieu veut pour ce monde qu’il a créé : l’unité de l’humanité entière. « En toi seront bénis tous les peuples de la terre » (Gn 12, 3), dit Dieu à Abraham. Saint Paul dit de son côté que le Christ, Dieu fait homme, « supprime en sa chair la haine » et suscite un seul Homme nouveau, « une seule humanité nouvelle par le rétablissement de la paix » (Eph 2, 15).
Et tout cela commence par du concret qui peut prendre valeur de symbole. Il y a besoin de gestes qui bravent le froid et illuminent un peu la nuit. Il y a besoin de partager comme des cadeaux, et pas comme des revendications, ces usages que nous recevons de notre culture. Il y a besoin d’oser adopter des gestes qui ont du sens pour les autres. Etre ce que nous sommes et accueillir ce que d’autres veulent donner.
Les célébrations œcuméniques sont nombreuses pendant cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Vous pourrez voir en particulier celle qui sera diffusée dans la matinée œcuménique proposée dimanche prochain par les quatre producteurs chrétiens de France 2.
Ces célébrations essaient d’oser des gestes échangés ainsi que des paroles personnelles et communes. Tout cela, pour une même prière.
Cette parabole des gestes de main me fait penser qu’il est bien que notre main écoute notre cœur. Que nos actions puisent dans nos espérances. C’est bon pour l’unité des chrétiens mais plus largement, pour l’unité de l’humanité entière telle que Dieu la veut.
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